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les chroniques de la Mère Docu

10 février 2013

Voleurs d'auteurs

 

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    Parmi la multitude de missions qui incombent à notre beau métier, il en est une, éminemment morale, qui concerne la propriété intellectuelle. La respecter, en se tenant continuellement informés de ses aspects juridiques, par la consultation régulière d'indigestes articles ne suffit pas. Notre sainte mère l'Education Nationale nous investit d'une mission hautement sacrée : en prosélytes zélés, nous sommes en effet censés "sensibiliser" les élèves aux notions de propriété intellectuelle et de droit d'auteur, ceci afin de former le citoyen de demain. Vaste programme. Du pirate en herbe qui someille en chaque élève, nous devons donc faire un "citoyen". L'école parle même de "Cyber citoyen", pour paraître moins ringarde. Grâce à notre mission évangélisatrice, tout autant que par l'opération du saint esprit pédagogique, le plagiaire obsessionnels de Wikipédia, le pilleur compulsifs d'images, l'accro du copier-coller deviendraient en quelques trimestres de dociles adeptes de la législation, conscients des questions de propriété intellectuelle.

    Pourquoi pas. Internet à l'école est symptomatique de cette modernité déroutante qui oscille entre liberté quasi-illimitée et répression arbitraire. Tsunami informationnel et HADOPI. Pornographie et censure. La tache paraît démesurée et au fin-fond de nos petits CDI, nous avons beau radoter : sur les autoroutes de l'information nos discours ont le même pouvoir dissuasif que des hérissons. Va faire des citoyens dans ce merdier, toi ! Dans cette société de l'information, où l'usager pris en étau entre dealers et flics semble condamné à l'ultramoderne schizophrénie, la marge de manoeuvre du pédagogue bon samaritain est étroite.

Copier-coller... Bon, pour commencer, déjà, ça serait pas mal de montrer l'exemple et de le respecter, ce foutu droit d'auteur. Et en ce qui me concerne, là non plus c'est pas gagné. Je n'en suis évidemment pas faire des copier-coller de Wikipédia, même s'il faut reconnaître que c'est bien pratique puisqu'il y a des articles sur à peu près tout dans ce machin. Par contre, sur les images, je ne suis guère plus scrupuleux que le moins averti des élèves : besoin d'une image quelconque pour illustrer un papier pédagogico-boy scout ou une affiche infantilisante ? Google images, "enregistrer l'image sous", copier-coller dans le traitement de texte et basta. ça m'est arrivé, quand je voulais faire les choses bien, de consulter des banques d'images libres de droits, mais la législation est tellement tatillonne et tellement prompte à imposer des limitations que l'on est même pas complètement sûrs d'être dans les clous et de pouvoir disposer de l'image selon notre gré.Tout comme il m'est arrivé en toute bonne foi, au cours de ma première année de titulaire, de composer et d'apposer une étiquette bien ingénue et bien naïve sur un DVD acheté sans le moindre droit de diffusion par l'établissement, lors de l'opération "Collège au Cinéma". Sur l'étiquette, on pouvait lire un truc du genre "seuls quelques courts extraits peuvent être diffusés". Merci de ne pas rire. J'étais jeune, j'avais encore des scrupules, mais il ne faut pas croire que je croyais pour autant à ce que j'écrivais, d'ailleurs, un inspecteur aurait vu ça, il n'aurait pas manquer de m'aligner et de me rappeler à mes obligations sacrées. Depuis 7 ans que j'assiste à l'opération collège au cinéma, j'ai du commander un ou deux DVD libres de droit hors de prix auprès d'un organisme spécialisé (l'ADAV, pour ne pas la nommer, où d'ailleurs, créer un compte client pour l'établissement tient du parcours du combattant). Le reste du temps, j'ai laissé mon collègue chargé de l'opération diffuser aux élèves des copies du film depuis une clé USB ou gravées sur un DVD, sans tiquer le moins du monde. Quand je ne me chargeais pas moi-même d'acheter les DVD (sans droits bien sûr) à la Fnac comme un vulgaire utilisateur privé. Mais pour énhaurmes qu'elles soient, ces infractions restent assez peu répréhensibles dans la mesure où seuls des extraits du film étaient diffusés pour l'exploitation pédagogique. Le visionnage du film s'effectuant au cinéma en toute légalité.

    Là où je suis moins pardonnable c'est quand je m'improvise copiste-faussaire pour rendre service aux collègues. Profs de langue bien souvent. Récemment, j'ai ainsi dupliqué des CD élèves du manuel d'anglais pour remplacer ceux qui avaient été détruits ou égarés par les élèves (font gaffe à rien, ceux-là !). Il va de soi qu'en pareil cas le collège est censé commander les CD perdus à 7 ou 8 € l'unité auprès de l'éditeur. T'as raison, pour qu'ils soient à nouveau perdus et paumés ! Et la marmotte, hein... Bien évidemment, pour corser mon travail de pirate, l'éditeur a finaud de protéger le contenu du CD afin d'en empêcher la duplication immédiate, sinon ça serait trop facile. Pour contourner le truc, hop, j'ai téléchargé le logiciel CD ex pour extraire les fichiers du CD et les graver sans autre forme de procès, hé hé ! J'ai péché, j'avoue. Un doc qui duplique illégalement, c'est comme un flic ripoux. Ça doit être châtié avec la plus extrême sévérité.  Et encore, j'ai volontairement omis de mentionner que chez moi il m'arrivait parfois de "streamer" voire télécharger (illégalement ça va sans dire) films et séries pour ma consommation personnelle. Encore une fois, je n'ose imaginer le choc pour des collègues consciencieux si d'aventure leurs yeux innocents s'égaraient sur le présent billet de ce blog impie.

Tremblez, pirates ! Ainsi, quel que soit notre respect de la loi, nous devons endosser un lourd sentiment de culpabilité à chaque fois que l'on "emprunte" l'immatérielle propriété d'autrui et même si nous ne dépouillons nullement ce dernier d'un quelconque bien matériel, nous devons toujours considérer l'"oeuvre" que nous avons reproduite comme un bien mal acquis. Il faut se châtier d'avoir commis le péché capital auquel seuls échappent les saints hommes et les saintes femmes qui peuplent les églises de l'inspection et les monastères du droit. Mais les mortifications que nous devons nous imposer semblent bien inutiles si l'on considère le jour bien improbable où nous subirons les foudres de jugement dernier. Qui viendra nous chercher des noises pour quelques photos anonymes ou non piquées ça et là sur Internet ? Qui nous collera un procès aux fesses pour avoir copié un misérable CD d'anglais qui n'intéresse personne, encore moins les élèves à qui il est destiné ? Les éditeurs nous plument suffisamment pour le faire et les inspecteurs, tout aussi menaçants qu'ils soient, ont d'autres chats à fouetter. D'ailleurs, malgré les recommandations adressées à nous tous par notre guide suprême académique, je n'ai jamais donné suite aux fameux courriers de Sofia, qui, en toute mesquinerie, pour des histoires minables de gros sous, nous invite régulièrement à recenser le fonds destiné au prêt. De toute façon, même si j'avais voulu le faire, j'aurais été bien infoutu de remplir ce machin. Autant que je sache, notre sainte inspection ne m'en a jamais tenu rigueur. Alors le papelard à l'entête vermeille sommeille tranquillement au fond d'un tiroir, des fois que.

    Moralité ? On continue comme ça. Les textes d'avertissement promettant les flammes de l'enfer et accessoirement des amendes colossales aux contrevenants pendent au dessus de nos têtes comme des épées de Damoclès en carton. L'école a pour rôle d'éduquer, de former l'esprit critique, elle n'en demeure pas moins comme faisant partie de la société. Il n'y a donc pas de raison qu'elle échappe à l'anarchie ambiante qui règne en matière de droit d'auteur. Et la clause de l'exception pédagogique, que les pisse-vinaigre et les culs serrés nous recommandent de ne pas trop surestimer demeure malgré tout un argument béton pour qu'on nous laisse dupliquer en rond. Alors on a beau agiter les menaces, promettre les sanctions et jouer sur la peur du gendarme, comme sans doute pas mal de mes collègues je n'en ferais pas moins l'impasse sur ce qui me paraît tout aussi emmerdant qu'inutile. Comme il est dit à un moment dans ce chef-d'oeuvre du 7e art intitulé Les Trois Frères : "On n'a qu'une vie, on va pas s'emmerder avec ça".

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22 janvier 2013

Standard and prof's

 

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En janvier, il y a des traditions auxquelles on ne coupe pas, quand on est chef d'établissement. Après les voeux adressés en toute cordialité et la galette partagée avec le personnel vient le temps de la campagne de notation administrative annuelle.

Ainsi, comme les États, les profs ont leur note, avec dans le rôle de l'agence de notation le chef d'établissement et en guise des trois lettres cruciales, les critères « assiduité et ponctualité », - « activité et efficacité »,- « autorité et rayonnement », évalués de "Très bien" à "médiocre" en passant par "bien" et "passable". Si la plupart des profs sont assurés de recueillir trois "très bien", comme les allemands le tant convoité triple A, il faut bien que d'autres fassent figure comme les grecs d'épouvantails pour faire la peau à la légende tenace selon laquelle la note administrative maximale est acquise d'avance, histoire d'éviter le relâchement des personnels. Certes, ma note n'est pas aussi dégradée que celle de la Grèce, mais si je devais me comparer à un pays, je ferais partie de ceux dont on qualifie la situation économique de "fragile" appelant à des "réformes de structure". Pour évaluer le service d'un enseignant, le langage des chefs d'établissement n'est guère moins abscons que celui des agences de notation . Car en cas de baisse de note ou de plafonnement à "bien", comme c'est mon cas pour les critères B et C, il faut envelopper la chose de mille précautions pour faire passer la pilule. "M. X participe à des projets mais doit développer son rôle pédagogique au sein de l'établissement". Des mots aussi lisses et insipides que de la vaseline pour faire comprendre à l'intéressé qu'il a sérieusement intérêt à se secouer les miches. Là où dans le privé on ne s'embarasserait pas de tant de scrupules quitte à virer les moins efficaces, l'Education Nationale manie avec brio l'art du sous entendu et abuse de l'euphémisme pour épingler les tire-au-flanc.

Dégradation de la note Sans surprise donc, hier, j'ai récolté respectivement le "très bien"/ "bien"/ "bien", hérité de l'an dernier, lorsque j'avais été dégradé par l'ancienne principale. Celle-ci avait en effet jugé bon de me faire passer de "très bien" à "bien" en "activité / efficacité, s'appuyant pour cela sur le rapport sans appel (mais tout aussi enrobé de faux-culteries assassines) dont m'avait gratifié l'inspectrice quelques mois auparavant. Cette principale m'avait visiblement dans le nez, et le rapport de l'inspection venait à point nommé pour m'aligner. Je n'ai même pas cherché à contester sa décision (il faut dire que je fais tellement cas de ma carrière au sein de cette noble institution...), pas plus que je n'ai cherché à le faire cette année. Signature, merci au revoir. Au passage, je suis la preuve que ne pas faire de vague et ne pas chercher le conflit avec la direction n'est pas une garantie pour se faire bien voir. Comme un cancre qui fayotterait avec son prof : ça ne trompe personne. En revanche, ce qui a été plus ennuyeux au cours de l'entretien d'hier, c'est d'apprendre que l'inspectrice n'avait pas l'intention de me lâcher comme ça et qu'il n'était pas exclu qu'elle revienne me chercher des noises en juin, histoire de voir si j'avais fini par rentrer dans le rang. On m'a également fait comprendre que, l'année étant bien avancée, il était grand temps de passer à l'action : ne pas se contenter de participer, mais s'impliquer, et proposer". C'est marrant, j'ai beau être complètement aigri, cynique et prendre de plus en plus ce boulot par dessus la jambe, n'empêche, ça fait quand même mal de se prendre ça dans les dents. Car mine de rien, je n'adhère pas à mon boulot, mais je m'y accroche, faut bien gagner sa croûte. Alors depuis hier, j'ai les boules, un peu comme pendant la période qui avait suivi ma dernière inspection. L'idée que l'autre peut se ramener en juin me fout des boutons : si ça n'est pas des menaces et qu'elle se pointe vraiment, elle risque de pas d'être déçue du voyage. Je ne vais pas me leurrer. C'est pas en janvier que je vais commencer à jouer à la maîtresse. Elle me trouvera autant à poil qu'à sa dernière visite. Et là, qu'est-ce qu'il va se passer ? Elle me baissera ma note comme elle l'avait laissé entrevoir à l'époque, si je ne changeais pas le cap ?

Tutelle du FMI Depuis deux jours, je suis presque tenté d'aller vider mon sac auprès de la chef : "Alors, comme ça vous voulez que je fasse des activités pédagogiques au CDI, mais quand la vie sco me refourgue des gamins d'office parce que c'est bien connu je n'ai rien à foutre, bizarrement y a plus personne !". Comme l'inspectrice qui me disait sans rire "vous devez toujours avoir du monde". Sans blague, et comment qu'y fait, bibi, pour préparer des trucs si ya toujours des gosses braillards qui me polluent le CDI, hein ? Comment qu'y fait ?". Il faut dire que dans mon académie comme dans beaucoup d'autres, nous, les docs, sommes cornaqués par la clique des inspecteurs "établissement vie scolaire". Quant à la personne chargée de visiter les docs, elle n'a jamais été documentaliste mais prof d'une vraie discipline, ce qui est normal, puisqu'être doc ça ne s'apprend pas, même si aux dernières nouvelles il y a un concours. Si j'étais mesquin, je me proposerais pour devenir inspecteur d'histoire géo comme ça au hasard (ça doit bien être valable dans l'autre sens non ?) mais ce n'est pas mon genre, je dis ça en toute ingénuité...  Si après ça l'institution ose affirmer qu'elle ne nous considère comme des profs et pas comme des surveillants d'étude... Quant à nos amis inspecteurs, entre les chefs d'établissement, la vie sco et les docs, qui crûtes-vous qu'ils ménageassent ? Bah, oui, vous avez deviné : les plus nombreux et ceux dont les intérêts (par exemple se décharger un max des études sur le CDI) convergent... Quand l'institution s'unit pour vous enfoncer et pour vous chier sur la gueule de concert avec les élèves, cela ne va pas sans susciter une certaine mélancolie...

 

29 novembre 2012

l'inflation numérique

On entend souvent cette rengaine. L'école française serait en retard en matière de numérique. C'est pourtant pas faute de bonne volonté. Depuis presque trente ans et le "Plan Informatique Pour Tous", on ne peut pas dire que l'ordinateur soit banni de l'école. Je me souviens de la salle informatique de mon école primaire, déjà fort bien pourvue en machines, à la fin des années 80. Depuis mon entrée dans le métier, j'ai passé un nombre d'heures titanesques devant mon écran. D'ailleurs, la journée d'un documentaliste commence quand il allume l'ordinateur et se termine quand il l'éteint.

Dans mon collège rural et paradoxalement suréquipé, la place du numérique s'est accrue sensiblement ces dernières années, notamment avec la généralisation du cahier de texte en ligne. Mais cette année, on est passé un cran encore au dessus. Désormais, toute la communication administrative de l'établissement passe par l'ENT. L'appel des élèves se fait également sur ordinateur. Imaginez le merdier en cas de panne... Bon c'est un fait, ça simplifie la communication et ça économise de la paperasse, c'est entendu. Mais il y a quand même quelque chose qui me gêne là dedans, comme s'il y avait une tentation totalitaire sous-jacente à cette quête de l'outil unique, ultime. Des travaux de chercheurs ont démontré comment l'utilisation d'Internet modelait le cerveau humain. Insidieusement, ces fameux ENT qui se répandent dans les établissements influent sur notre façon de travailler, de communiquer et de penser. Nous communiquons de moins en moins directement avec nos collègues et notre hiérarchie : il faut passer par une machine qui fait écran à la communication humaine. Et cela prend du temps. Beaucoup de temps. Car il faut adapter le message à l'outil, le formater. La communication s'en trouve lissée et réduite à sa forme la plus utilitaire et la plus désincarnée. Ceux qui contrôlent l'outil et qui ont le dernier mot sur ce qui sera publié ou non (les modérateurs) disposent désormais d'un pouvoir dont on soupçonne encore mal la portée au sein de l'établissement. De là à parler de censure serait un pas que je serais bien tenté de franchir.

Pourtant, à l'origine de tous ces ENT, comme à l'origine d'Internet, il y a certainement des personnes de bonne foi, convaincues de l'utilité de ces plateformes virtuelles. Sans doute les ENT ont ils été conçus dans un souci égalitariste de partage de l'information. Mais comme bien souvent dans l'histoire de la communication Internet plane le risque de dérive ou de récupération par le pouvoir ou par les marchands. D'ailleurs, ces derniers ont bien flairé le marché potentiel que représentait l'école. En ce moment, les éditeurs de ressources numériques nous tannent pour que l'on se serve chez eux : en effet, certains établissement, comme le mien, disposent à titre expérimental d'un "chèque-ressource" pour l'acquisition de ressources numériques éducatives. Ce plan avait été lancé par le ministère de Chatel qui nous rappellait insistamment le retard de l'école française en matière de numérique. Maintenant, avec le recul, on est en droit de se demander quelle est la part du lobbying des éditeurs dans tout ça. Maintenant qu'ils ont rentré le pied, ça va être difficile de les faire sortir. Sans doute espèrent-ils profiter ce cette formidable promotion pour nous fourguer des produits souvents très très chers. Un exemple pernicieux est peut-être le cas des manuels scolaires numériques. Les manuels sous forme papier sont actuellement financés par l'état ou la région. Or, les manuels numériques qui se développent un peu partout n'entrent pas dans ce financement et sont à la charge des établissements qui font le choix de s'équiper avec. Ils sont en revanche proposés aux catalogues des ressources numériques. Il y a fort à parier que ce chèque ressource ne durera pas éternellement. A un moment ou à un autre, l'acquisition des ressources numériques sera à la charge des établissements. Mais alors, une fois que les manuels papier seront devenus obsolètes du fait de la généralisation des manuels numériques, qui paiera la note ? L'état / la région ou les établissements, sur leurs fonds propres ? Comme disait l'autre, un outil, c'est bien beau, mais ça dépend de ce que l'on en fait.

27 octobre 2012

Qu'est-ce que je fous là ?

 

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Putain, 7 ans ! 7 ans que je croupis dans ce bled moisi à faire mal mon boulot de merde...Comment j'en suis arrivé là ? Petit retour en arrière.

Il y a un peu plus de sept ans donc, je sortais fraîchement émoulu de l'IUFM (vous savez, ce machin liquidé par le précédent gouvernement), à peine estampillé du label professeur documentaliste certifié titulaire et par le jeu  hasardeux des mutations, j'ai donc échoué dans un petit collège de campagne, quelque part sur ces terres sinistrées de la "diagonale du vide". Bon, pour être honnête, c'est un moindre mal d'atterrir ici, si l'on songe que d'ordinaire la bleusaille éducative est souvent jetée en pâture à de rieuses banlieues le temps de la déniaiser un peu. D'ailleurs le hasard, faut bien admettre je l'ai quelque peu  forcé : par l'intermédiaire d'un PACS bidon avec un pote, ce qui nous a évité à tous les deux le parachutage en zone rebelle, c'est toujours ça de pris. J'ai conscience de faire figure d'embusqué à côté des collègues envoyés au Chemin des Dames. Faut pas m'en vouloir, j'ai voulu sauver ma peau, c'est tout. Déjà que dans mon collège de pedzouilles j'en chie, alors vous imaginez dans une banlieue ? Faut voir ça un peu comme une affectation sur dossier médical, une planque où mes conneries ne porteront pas trop à conséquence, un bahut pépère où je ne me ferais pas trop caillasser, un placard où je pourrai me faire oublier avant même d'avoir été connu...

"Tu fais partie des meubles" Là où je suis nommé, peu de chances de me prendre un jour une baffe, donc. Et pourtant, lors de ma première venue je m'en suis pris une belle de baffe, en pleine tronche, elle résonne encore, j'en ai les oreilles qui sifflent. C'était au mois de juin, en fin d'année scolaire. Je venais d'apprendre mon affectation. Je m'étais déjà mis au parfum par téléphone : la doc, visiblement pas déçue de partir m'avait déjà prévenu que je devais m'attendre à un trou paumé. Je suis quand même venu en repérage, histoire de me faire mon idée sur la question. Pour l'ex stagiaire néo urbanisé mais néanmoins rodé à la campagne durant toute son enfance, le choc fut rude, la notion de diagonale du vide m'éclatant à la gueule : d'immenses plateaux calcaires abandonnés, couverts de champs et de forêts. Quelques tristes bourgades isolées. Pas de vraie ville à moins d'une heure de route. Des hivers interminables et des terres conquises par le FN, aux dires de la collègue. Cette campagne là n'avait rien à voir avec le pays de bocage vallonné et plutôt à gauche où j'avais grandi, à 300 km de là. A 25 ans, je réalisais que je méloignais pour la première fois et durablement de ma région, de ma famille. Quelque part, cette mutation a coïncidé avec le début réèl de ma vie adulte. J'ai passé une bonne partie de l'été qui s'en est suivi à ruminer là dessus, et puis j'ai pris mon poste. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts. Je viens d'effectuer ma 8e rentrée en septembre, je suis installé ici, j'ai même fini de payer ma mansarde (l'immobilier n'est pas cher dans le coin), le collège a perdu une trentaine d'élèves et deux classes. J'ai vu passer quelques élèves et pas mal de collègues. Les "anciens" sont partis, désormais je fais un peu partie des meubles, comme on me le fait remarquer en rigolant. T'as raison, je fais partie des meubles, mais je ne pense pas faire partie un jour des piliers. Car en sept ans, j'ai fait l'apprentissage de ce qu'est la vie d'un documentaliste pas vraiment compétent, échoué par hasard dans un collège pas vraiment comme les autres. J'ai fait principalement de la garderie, initié pratiquement aucun projet et, sans surprise, enduré deux inspections calamiteuses. Cette petite expérience sur le terrain a balayé sans peine les illusions dont je me berçais l'année de la préparation du concours, épreuve d'érudition et d'onanisme intellectuel qui a la facheuse manie d'abolir un paramètre, et pas des moindres : celui de l'élève, la variable humaine, quoi. Je ne suis jamais plus heureux dans "mon" CDI que seul, attelé à des taches de gestion ou de saisie documentaire, de recherche, le nez sur l'écran ou dans la paperasse. Un CDI sans élève, une école sans enfants : le pied !

Sisyphe roi   Je crois que la chose la plus insupportable dans mon boulot, au fond, c'est le bruit. C'est d'autant plus insupportable et stressant que je n'arrive pas à l'empêcher. Pas moyen d'obtenir le silence, de faire taire ces gosses qui pour la plupart, sont habitués comme leurs parents à brailler à tue-tête dans leurs fermes où même dans la rue. A ma décharge, le silence n'est pas naturel chez eux. A ma charge, d'autres arrivent à l'obtenir, ce foutu silence. Moi je n'y arrive pas. Les "chut", "taisez-vous", les menaces, les mots dans le carnet n'ont aucun effet, sinon celui de me faire passer pour un éternel radoteur. Quand il y a du bruit et donc des élèves, je ne peux absolument pas me concentrer sur autre chose, ça me bouffe, ça me rend dingue. Aux yeux des élèves, je dois être le pion du CDI qui dit "chut". Je rechigne à me considérer comme un prof. Prof sur le papier, oui, mais pas sur le terrain. J'ai au moins la décence d'éviter d'accoler les termes "enseignant" ou "professeur" au documentaliste que je suis. Pas d'implication. Pas d'usurpation non plus. L'arrivée de nouveaux élèves en cours d'année suscite toujours cette appréhension en moi : je me dis que ces élève ont du avoir affaire à de vrais documentalistes avant d'arriver ici. La comparaison qu'il ne doivent pas manquer de faire dans leur esprit serait à coup sûr douloureuse à entendre pour moi. Et inversement, lorsque les élèves quittent le collège pour le lycée, j'imaginent qu'ils tombent de haut en découvrant leur nouveau CDI, où, cette fois, une personne énergique arrive à leur faire fermer leur gueule. "Ah bon, c'est pas la garderie ici ?". "Mais dans mon collège, on avait le droit de regarder des images et des vidéos". "Pour les recherches,on faisait comme on voulait, on pouvait imprimer tout Wikipédia". "BCDI, qu'est-ce que c'est que ça ?". Pourtant, ce n'est pas faute de rabâcher les règles à longueur de journée : "non, ce n'est pas la garderie ici", "vous n'êtes pas au collège pour regarder des vidéos, le CDI n'est pas un cybercafé", "on ne fait pas de copier-coller sauvage", "on utilise BCDI comme je vous l'ai appris en 6e" et gnagnagna... Cela ne suffit pas de dire et redire les mêmes choses jusqu'à la nausée, il faut déployer une volonté de fer, ce que je n'ai pas devant l'ampleur de la tache. La paresse forcenée de l'adolescence sauvage et mal dégrossie me rebute trop pour que j'entreprenne quoi que ce soit de solide. Alors j'en reste aux seules injonctions orales. Or, pour un élève, ce qui est interdit sans être puni d'une sanction dissuasive est autorisé. Il faut "cadrer", mot de flic que j'exècre avec la même force que "gérer" ou "motiver" tant ils sont dénués de sens à force d'être détournés et martelés, en particulier par l'institution scolaire.  En tout cas, je ne "cadre" pas assez, dirait donc Ducon. Pas faux. Je ferais un très mauvais flic, et pourtant je ne fais que ça de la journée : fliquer l'utilisation des ordinateurs, fliquer les gamins qui font je ne sais quoi dans les "angles morts", fliquer les sauvageon du coin lecture, première zone de non droit du CDI, fliquer pour les recherches pour traquer les copier-coller, fliquer pour faire poser les sacs à l'entrée fliquer pour le rangement des chaises et l'extinction des postes à chaque sonnerie... Il y a un côté Sisyphe dans ce métier.

Partir...   Tout ce que je peux lire ou entendre ici et là sur les CDI comme lieu incontourable du savoir ou sur le documentaliste comme super héros doté de pouvoirs extraordinaires m'apparaît comme une vaste pignolade, quand je le ramène à ma pratique. Mais ça ne me surprend guère, venant de propagandistes illuminés, persuadés depuis 40 ans de l'imminence d'un miracle pédagogique accompli grâce à nos fabuleux CDI. Mais y croient-ils ? On peut se demander s'ils planent vraiment ou s'ils n'essaient pas, à travers leurs pensums présomptueux, de nous faire oublier qu'au fond, les documentalistes, c'est un tout petit monde, même à l'échelle du système éducatif, et dont tout le monde se contrefout... mais qui aboie comme un roquet pour ne pas qu'on lui marche dessus. Je n'aurais donc même pas de respect pour le métier, pour ceux qui l'exercent et pour ses thuriféraires ? J'ai pas dit ça non plus. Quoi que, les jours où j'en ai vraiment ma claque...

Faudrait peut-être que je songe à aller voir ailleurs, changer de voie. Aller traîner mes viandes sous d'autre cieux quoi. Il y a bien le détachement, ou à l'extrême, la démission pour m'échapper, si jamais j'étais trop carbonisé. Il paraît que c'est dasn l'air du temps, chez les profs. Mais ça veut dire aller vers l'inconnu, faire plein de démarches chiantes, déménager alors que viens à peine de finir de payer ma baraque, tout ça pour repartir dans un autre boulot avec un salaire encore plus pourri. Mais promis, je vais y réfléchir.

Voilà sept ans que je m'embouse dans ce boulot assommant d'ennui, mes journées de travail se répètent à l'identique. Je ne suis clairement pas fait pour ce métier. A part la sécurité de l'emploi et les vacances, je me demande souvent ce que je fous là. C'est pas l'usine bien sûr, je ne suis pas vraiment épuisé, ni victime des cadences infernales et grosso modo, on me fout la paix, sauf une demi journée tous les cinq ans lors de la venue de l'inquisispection... En définitive, ce qui est difficile à accepter, c'est de ne pas servir à grand chose et de se dire qu'avec moi, les élèves n'auront quasiment rien découvert, rien appris. Sept ans, c'est amplement suffisant pour faire ce constat. Mais il faudra peut-être sept années de plus pour s'impliquer enfin dans ce métier. Ou pour arrêter.

 

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les chroniques de la Mère Docu
  • Imaginez un instant que vous ayez autant d'aptitudes pour être documentaliste en collège que Mimi Mathy en a pour le basket, sauf que, pas de bol, c'est votre boulot (documentaliste, hein, pas le basket). Vous y êtes ? Bien, la lecture peut commencer...
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