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les chroniques de la Mère Docu
10 février 2013

Voleurs d'auteurs

 

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    Parmi la multitude de missions qui incombent à notre beau métier, il en est une, éminemment morale, qui concerne la propriété intellectuelle. La respecter, en se tenant continuellement informés de ses aspects juridiques, par la consultation régulière d'indigestes articles ne suffit pas. Notre sainte mère l'Education Nationale nous investit d'une mission hautement sacrée : en prosélytes zélés, nous sommes en effet censés "sensibiliser" les élèves aux notions de propriété intellectuelle et de droit d'auteur, ceci afin de former le citoyen de demain. Vaste programme. Du pirate en herbe qui someille en chaque élève, nous devons donc faire un "citoyen". L'école parle même de "Cyber citoyen", pour paraître moins ringarde. Grâce à notre mission évangélisatrice, tout autant que par l'opération du saint esprit pédagogique, le plagiaire obsessionnels de Wikipédia, le pilleur compulsifs d'images, l'accro du copier-coller deviendraient en quelques trimestres de dociles adeptes de la législation, conscients des questions de propriété intellectuelle.

    Pourquoi pas. Internet à l'école est symptomatique de cette modernité déroutante qui oscille entre liberté quasi-illimitée et répression arbitraire. Tsunami informationnel et HADOPI. Pornographie et censure. La tache paraît démesurée et au fin-fond de nos petits CDI, nous avons beau radoter : sur les autoroutes de l'information nos discours ont le même pouvoir dissuasif que des hérissons. Va faire des citoyens dans ce merdier, toi ! Dans cette société de l'information, où l'usager pris en étau entre dealers et flics semble condamné à l'ultramoderne schizophrénie, la marge de manoeuvre du pédagogue bon samaritain est étroite.

Copier-coller... Bon, pour commencer, déjà, ça serait pas mal de montrer l'exemple et de le respecter, ce foutu droit d'auteur. Et en ce qui me concerne, là non plus c'est pas gagné. Je n'en suis évidemment pas faire des copier-coller de Wikipédia, même s'il faut reconnaître que c'est bien pratique puisqu'il y a des articles sur à peu près tout dans ce machin. Par contre, sur les images, je ne suis guère plus scrupuleux que le moins averti des élèves : besoin d'une image quelconque pour illustrer un papier pédagogico-boy scout ou une affiche infantilisante ? Google images, "enregistrer l'image sous", copier-coller dans le traitement de texte et basta. ça m'est arrivé, quand je voulais faire les choses bien, de consulter des banques d'images libres de droits, mais la législation est tellement tatillonne et tellement prompte à imposer des limitations que l'on est même pas complètement sûrs d'être dans les clous et de pouvoir disposer de l'image selon notre gré.Tout comme il m'est arrivé en toute bonne foi, au cours de ma première année de titulaire, de composer et d'apposer une étiquette bien ingénue et bien naïve sur un DVD acheté sans le moindre droit de diffusion par l'établissement, lors de l'opération "Collège au Cinéma". Sur l'étiquette, on pouvait lire un truc du genre "seuls quelques courts extraits peuvent être diffusés". Merci de ne pas rire. J'étais jeune, j'avais encore des scrupules, mais il ne faut pas croire que je croyais pour autant à ce que j'écrivais, d'ailleurs, un inspecteur aurait vu ça, il n'aurait pas manquer de m'aligner et de me rappeler à mes obligations sacrées. Depuis 7 ans que j'assiste à l'opération collège au cinéma, j'ai du commander un ou deux DVD libres de droit hors de prix auprès d'un organisme spécialisé (l'ADAV, pour ne pas la nommer, où d'ailleurs, créer un compte client pour l'établissement tient du parcours du combattant). Le reste du temps, j'ai laissé mon collègue chargé de l'opération diffuser aux élèves des copies du film depuis une clé USB ou gravées sur un DVD, sans tiquer le moins du monde. Quand je ne me chargeais pas moi-même d'acheter les DVD (sans droits bien sûr) à la Fnac comme un vulgaire utilisateur privé. Mais pour énhaurmes qu'elles soient, ces infractions restent assez peu répréhensibles dans la mesure où seuls des extraits du film étaient diffusés pour l'exploitation pédagogique. Le visionnage du film s'effectuant au cinéma en toute légalité.

    Là où je suis moins pardonnable c'est quand je m'improvise copiste-faussaire pour rendre service aux collègues. Profs de langue bien souvent. Récemment, j'ai ainsi dupliqué des CD élèves du manuel d'anglais pour remplacer ceux qui avaient été détruits ou égarés par les élèves (font gaffe à rien, ceux-là !). Il va de soi qu'en pareil cas le collège est censé commander les CD perdus à 7 ou 8 € l'unité auprès de l'éditeur. T'as raison, pour qu'ils soient à nouveau perdus et paumés ! Et la marmotte, hein... Bien évidemment, pour corser mon travail de pirate, l'éditeur a finaud de protéger le contenu du CD afin d'en empêcher la duplication immédiate, sinon ça serait trop facile. Pour contourner le truc, hop, j'ai téléchargé le logiciel CD ex pour extraire les fichiers du CD et les graver sans autre forme de procès, hé hé ! J'ai péché, j'avoue. Un doc qui duplique illégalement, c'est comme un flic ripoux. Ça doit être châtié avec la plus extrême sévérité.  Et encore, j'ai volontairement omis de mentionner que chez moi il m'arrivait parfois de "streamer" voire télécharger (illégalement ça va sans dire) films et séries pour ma consommation personnelle. Encore une fois, je n'ose imaginer le choc pour des collègues consciencieux si d'aventure leurs yeux innocents s'égaraient sur le présent billet de ce blog impie.

Tremblez, pirates ! Ainsi, quel que soit notre respect de la loi, nous devons endosser un lourd sentiment de culpabilité à chaque fois que l'on "emprunte" l'immatérielle propriété d'autrui et même si nous ne dépouillons nullement ce dernier d'un quelconque bien matériel, nous devons toujours considérer l'"oeuvre" que nous avons reproduite comme un bien mal acquis. Il faut se châtier d'avoir commis le péché capital auquel seuls échappent les saints hommes et les saintes femmes qui peuplent les églises de l'inspection et les monastères du droit. Mais les mortifications que nous devons nous imposer semblent bien inutiles si l'on considère le jour bien improbable où nous subirons les foudres de jugement dernier. Qui viendra nous chercher des noises pour quelques photos anonymes ou non piquées ça et là sur Internet ? Qui nous collera un procès aux fesses pour avoir copié un misérable CD d'anglais qui n'intéresse personne, encore moins les élèves à qui il est destiné ? Les éditeurs nous plument suffisamment pour le faire et les inspecteurs, tout aussi menaçants qu'ils soient, ont d'autres chats à fouetter. D'ailleurs, malgré les recommandations adressées à nous tous par notre guide suprême académique, je n'ai jamais donné suite aux fameux courriers de Sofia, qui, en toute mesquinerie, pour des histoires minables de gros sous, nous invite régulièrement à recenser le fonds destiné au prêt. De toute façon, même si j'avais voulu le faire, j'aurais été bien infoutu de remplir ce machin. Autant que je sache, notre sainte inspection ne m'en a jamais tenu rigueur. Alors le papelard à l'entête vermeille sommeille tranquillement au fond d'un tiroir, des fois que.

    Moralité ? On continue comme ça. Les textes d'avertissement promettant les flammes de l'enfer et accessoirement des amendes colossales aux contrevenants pendent au dessus de nos têtes comme des épées de Damoclès en carton. L'école a pour rôle d'éduquer, de former l'esprit critique, elle n'en demeure pas moins comme faisant partie de la société. Il n'y a donc pas de raison qu'elle échappe à l'anarchie ambiante qui règne en matière de droit d'auteur. Et la clause de l'exception pédagogique, que les pisse-vinaigre et les culs serrés nous recommandent de ne pas trop surestimer demeure malgré tout un argument béton pour qu'on nous laisse dupliquer en rond. Alors on a beau agiter les menaces, promettre les sanctions et jouer sur la peur du gendarme, comme sans doute pas mal de mes collègues je n'en ferais pas moins l'impasse sur ce qui me paraît tout aussi emmerdant qu'inutile. Comme il est dit à un moment dans ce chef-d'oeuvre du 7e art intitulé Les Trois Frères : "On n'a qu'une vie, on va pas s'emmerder avec ça".

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Commentaires
les chroniques de la Mère Docu
  • Imaginez un instant que vous ayez autant d'aptitudes pour être documentaliste en collège que Mimi Mathy en a pour le basket, sauf que, pas de bol, c'est votre boulot (documentaliste, hein, pas le basket). Vous y êtes ? Bien, la lecture peut commencer...
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