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les chroniques de la Mère Docu
27 octobre 2012

Qu'est-ce que je fous là ?

 

quescequejefousla_24092002

Putain, 7 ans ! 7 ans que je croupis dans ce bled moisi à faire mal mon boulot de merde...Comment j'en suis arrivé là ? Petit retour en arrière.

Il y a un peu plus de sept ans donc, je sortais fraîchement émoulu de l'IUFM (vous savez, ce machin liquidé par le précédent gouvernement), à peine estampillé du label professeur documentaliste certifié titulaire et par le jeu  hasardeux des mutations, j'ai donc échoué dans un petit collège de campagne, quelque part sur ces terres sinistrées de la "diagonale du vide". Bon, pour être honnête, c'est un moindre mal d'atterrir ici, si l'on songe que d'ordinaire la bleusaille éducative est souvent jetée en pâture à de rieuses banlieues le temps de la déniaiser un peu. D'ailleurs le hasard, faut bien admettre je l'ai quelque peu  forcé : par l'intermédiaire d'un PACS bidon avec un pote, ce qui nous a évité à tous les deux le parachutage en zone rebelle, c'est toujours ça de pris. J'ai conscience de faire figure d'embusqué à côté des collègues envoyés au Chemin des Dames. Faut pas m'en vouloir, j'ai voulu sauver ma peau, c'est tout. Déjà que dans mon collège de pedzouilles j'en chie, alors vous imaginez dans une banlieue ? Faut voir ça un peu comme une affectation sur dossier médical, une planque où mes conneries ne porteront pas trop à conséquence, un bahut pépère où je ne me ferais pas trop caillasser, un placard où je pourrai me faire oublier avant même d'avoir été connu...

"Tu fais partie des meubles" Là où je suis nommé, peu de chances de me prendre un jour une baffe, donc. Et pourtant, lors de ma première venue je m'en suis pris une belle de baffe, en pleine tronche, elle résonne encore, j'en ai les oreilles qui sifflent. C'était au mois de juin, en fin d'année scolaire. Je venais d'apprendre mon affectation. Je m'étais déjà mis au parfum par téléphone : la doc, visiblement pas déçue de partir m'avait déjà prévenu que je devais m'attendre à un trou paumé. Je suis quand même venu en repérage, histoire de me faire mon idée sur la question. Pour l'ex stagiaire néo urbanisé mais néanmoins rodé à la campagne durant toute son enfance, le choc fut rude, la notion de diagonale du vide m'éclatant à la gueule : d'immenses plateaux calcaires abandonnés, couverts de champs et de forêts. Quelques tristes bourgades isolées. Pas de vraie ville à moins d'une heure de route. Des hivers interminables et des terres conquises par le FN, aux dires de la collègue. Cette campagne là n'avait rien à voir avec le pays de bocage vallonné et plutôt à gauche où j'avais grandi, à 300 km de là. A 25 ans, je réalisais que je méloignais pour la première fois et durablement de ma région, de ma famille. Quelque part, cette mutation a coïncidé avec le début réèl de ma vie adulte. J'ai passé une bonne partie de l'été qui s'en est suivi à ruminer là dessus, et puis j'ai pris mon poste. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts. Je viens d'effectuer ma 8e rentrée en septembre, je suis installé ici, j'ai même fini de payer ma mansarde (l'immobilier n'est pas cher dans le coin), le collège a perdu une trentaine d'élèves et deux classes. J'ai vu passer quelques élèves et pas mal de collègues. Les "anciens" sont partis, désormais je fais un peu partie des meubles, comme on me le fait remarquer en rigolant. T'as raison, je fais partie des meubles, mais je ne pense pas faire partie un jour des piliers. Car en sept ans, j'ai fait l'apprentissage de ce qu'est la vie d'un documentaliste pas vraiment compétent, échoué par hasard dans un collège pas vraiment comme les autres. J'ai fait principalement de la garderie, initié pratiquement aucun projet et, sans surprise, enduré deux inspections calamiteuses. Cette petite expérience sur le terrain a balayé sans peine les illusions dont je me berçais l'année de la préparation du concours, épreuve d'érudition et d'onanisme intellectuel qui a la facheuse manie d'abolir un paramètre, et pas des moindres : celui de l'élève, la variable humaine, quoi. Je ne suis jamais plus heureux dans "mon" CDI que seul, attelé à des taches de gestion ou de saisie documentaire, de recherche, le nez sur l'écran ou dans la paperasse. Un CDI sans élève, une école sans enfants : le pied !

Sisyphe roi   Je crois que la chose la plus insupportable dans mon boulot, au fond, c'est le bruit. C'est d'autant plus insupportable et stressant que je n'arrive pas à l'empêcher. Pas moyen d'obtenir le silence, de faire taire ces gosses qui pour la plupart, sont habitués comme leurs parents à brailler à tue-tête dans leurs fermes où même dans la rue. A ma décharge, le silence n'est pas naturel chez eux. A ma charge, d'autres arrivent à l'obtenir, ce foutu silence. Moi je n'y arrive pas. Les "chut", "taisez-vous", les menaces, les mots dans le carnet n'ont aucun effet, sinon celui de me faire passer pour un éternel radoteur. Quand il y a du bruit et donc des élèves, je ne peux absolument pas me concentrer sur autre chose, ça me bouffe, ça me rend dingue. Aux yeux des élèves, je dois être le pion du CDI qui dit "chut". Je rechigne à me considérer comme un prof. Prof sur le papier, oui, mais pas sur le terrain. J'ai au moins la décence d'éviter d'accoler les termes "enseignant" ou "professeur" au documentaliste que je suis. Pas d'implication. Pas d'usurpation non plus. L'arrivée de nouveaux élèves en cours d'année suscite toujours cette appréhension en moi : je me dis que ces élève ont du avoir affaire à de vrais documentalistes avant d'arriver ici. La comparaison qu'il ne doivent pas manquer de faire dans leur esprit serait à coup sûr douloureuse à entendre pour moi. Et inversement, lorsque les élèves quittent le collège pour le lycée, j'imaginent qu'ils tombent de haut en découvrant leur nouveau CDI, où, cette fois, une personne énergique arrive à leur faire fermer leur gueule. "Ah bon, c'est pas la garderie ici ?". "Mais dans mon collège, on avait le droit de regarder des images et des vidéos". "Pour les recherches,on faisait comme on voulait, on pouvait imprimer tout Wikipédia". "BCDI, qu'est-ce que c'est que ça ?". Pourtant, ce n'est pas faute de rabâcher les règles à longueur de journée : "non, ce n'est pas la garderie ici", "vous n'êtes pas au collège pour regarder des vidéos, le CDI n'est pas un cybercafé", "on ne fait pas de copier-coller sauvage", "on utilise BCDI comme je vous l'ai appris en 6e" et gnagnagna... Cela ne suffit pas de dire et redire les mêmes choses jusqu'à la nausée, il faut déployer une volonté de fer, ce que je n'ai pas devant l'ampleur de la tache. La paresse forcenée de l'adolescence sauvage et mal dégrossie me rebute trop pour que j'entreprenne quoi que ce soit de solide. Alors j'en reste aux seules injonctions orales. Or, pour un élève, ce qui est interdit sans être puni d'une sanction dissuasive est autorisé. Il faut "cadrer", mot de flic que j'exècre avec la même force que "gérer" ou "motiver" tant ils sont dénués de sens à force d'être détournés et martelés, en particulier par l'institution scolaire.  En tout cas, je ne "cadre" pas assez, dirait donc Ducon. Pas faux. Je ferais un très mauvais flic, et pourtant je ne fais que ça de la journée : fliquer l'utilisation des ordinateurs, fliquer les gamins qui font je ne sais quoi dans les "angles morts", fliquer les sauvageon du coin lecture, première zone de non droit du CDI, fliquer pour les recherches pour traquer les copier-coller, fliquer pour faire poser les sacs à l'entrée fliquer pour le rangement des chaises et l'extinction des postes à chaque sonnerie... Il y a un côté Sisyphe dans ce métier.

Partir...   Tout ce que je peux lire ou entendre ici et là sur les CDI comme lieu incontourable du savoir ou sur le documentaliste comme super héros doté de pouvoirs extraordinaires m'apparaît comme une vaste pignolade, quand je le ramène à ma pratique. Mais ça ne me surprend guère, venant de propagandistes illuminés, persuadés depuis 40 ans de l'imminence d'un miracle pédagogique accompli grâce à nos fabuleux CDI. Mais y croient-ils ? On peut se demander s'ils planent vraiment ou s'ils n'essaient pas, à travers leurs pensums présomptueux, de nous faire oublier qu'au fond, les documentalistes, c'est un tout petit monde, même à l'échelle du système éducatif, et dont tout le monde se contrefout... mais qui aboie comme un roquet pour ne pas qu'on lui marche dessus. Je n'aurais donc même pas de respect pour le métier, pour ceux qui l'exercent et pour ses thuriféraires ? J'ai pas dit ça non plus. Quoi que, les jours où j'en ai vraiment ma claque...

Faudrait peut-être que je songe à aller voir ailleurs, changer de voie. Aller traîner mes viandes sous d'autre cieux quoi. Il y a bien le détachement, ou à l'extrême, la démission pour m'échapper, si jamais j'étais trop carbonisé. Il paraît que c'est dasn l'air du temps, chez les profs. Mais ça veut dire aller vers l'inconnu, faire plein de démarches chiantes, déménager alors que viens à peine de finir de payer ma baraque, tout ça pour repartir dans un autre boulot avec un salaire encore plus pourri. Mais promis, je vais y réfléchir.

Voilà sept ans que je m'embouse dans ce boulot assommant d'ennui, mes journées de travail se répètent à l'identique. Je ne suis clairement pas fait pour ce métier. A part la sécurité de l'emploi et les vacances, je me demande souvent ce que je fous là. C'est pas l'usine bien sûr, je ne suis pas vraiment épuisé, ni victime des cadences infernales et grosso modo, on me fout la paix, sauf une demi journée tous les cinq ans lors de la venue de l'inquisispection... En définitive, ce qui est difficile à accepter, c'est de ne pas servir à grand chose et de se dire qu'avec moi, les élèves n'auront quasiment rien découvert, rien appris. Sept ans, c'est amplement suffisant pour faire ce constat. Mais il faudra peut-être sept années de plus pour s'impliquer enfin dans ce métier. Ou pour arrêter.

 

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Commentaires
G
Bonjour<br /> <br /> Je viens de lire ton billet très enlevé. Je l’ai beaucoup apprécié. J’y retrouve ce que j’ai vécu durant dix ans comme prof doc contractuel dans l’académie de Rennes. Dix merveilleuses années à côté de ce que je subi aujourd’hui. Certes je suis titulaire de mon poste dans un lycée sans histoire mais mon métier, je l’exerce désormais, non pas à Quimper dont je suis originaire, mais en … région parisienne ! Région où je n’ai aucune attache familiale et où je déprime depuis mon affectation en 2015.<br /> <br /> Las d’être contractuel, soumis à la précarité, un collègue du SNES me conseille de passer le CAPES réservé. Je le passe et je l’obtiens. Que je suis heureux ! Prof doc certifié, ça en jette ! Je fais mon année de stage à Quimper. Tout va bien. Puis un matin, à 7h00, je reçois un sms du rectorat de Rennes m’indiquant que je suis muté dans l’académie de Créteil, à 49 ans ! Que cela me plaise ou non ! Je n’ai pas assez de points pour continuer à travailler en Bretagne.<br /> <br /> Aujourd’hui, je ne vais pas bien. Ma dépression s’est accentuée. Je me dis que je ne pourrais jamais m’installer en région parisienne définitivement et repartir de zéro.<br /> <br /> J’ai gardé mon appartement à Quimper pour aller m’y ressourcer de temps en temps. Je loge chez l’habitant. Quelle regression ! J’ai l’impression, à 50 ans aujourd’hui, d’être redevenu étudiant.<br /> <br /> Tout cela me coûte : psychologiquement, financièrement … Je n’en peux plus.
C
Très bon billet, je me retrouve à peu de choses près dans la même posture que toi. Bon il faut se dire que c'est toujours mieux que d'aller bosser chez Tricatel ou à la Cogip habillé en pingouin.<br /> <br /> Ce qui m'est le plus dur à vivre sont les réunions interminables où chacun s'écoute parler de choses qui de toute manière ne feront pas évoluer notre quotidien. Sans compter ceux/celles qui "défendent notre profession" comme des enragé(e)s à en devenir contre productive.<br /> <br /> Sinon je suis entièrement d'accord avec toi pour le bruit...bonne continuation et continue de faire vivre ton blog, ça occupe...
les chroniques de la Mère Docu
  • Imaginez un instant que vous ayez autant d'aptitudes pour être documentaliste en collège que Mimi Mathy en a pour le basket, sauf que, pas de bol, c'est votre boulot (documentaliste, hein, pas le basket). Vous y êtes ? Bien, la lecture peut commencer...
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